Saghir
Jean-François quitte le cocon de sa chambre-bibliothèque chez son frère en novembre 1804, pour faire sa rentrée au lycée impérial, nouvelle institution créée par Napoléon (actuel lycée Stendhal), où il sera interne jusqu’en 1807. Il y reçoit l’enseignement des meilleurs professeurs. Mais il n’y est pas heureux. La discipline stricte lui pèse et le programme, où dominent le latin et les mathématiques, l’ennuie. Selon ses bulletins scolaires, il assure le minimum : « Ni punition, ni récompense ».
« Jeudi dernier la distribution des prix du lycée a eu lieu ; elle a été précédée d’un examen, et à ses travaux de l’année, mon frère a joint l’étude du grec, de l’hébreu, du chaldéen et du syriaque ; vous connaissez son ardeur ; son goût pour les langues orientales l’a soutenu encore, et après diverses questions qui lui ont été faites sur ces langues, il a expliqué un chapitre de la Genèse sur le texte hébreu. Cette nouveauté a été remarquée à Grenoble. »
Dans cet « infernal séjour », Jean-François trouve quand même le temps d’assouvir sa passion, en cachette : l’étude des langues orientales (l’hébreu, l’arabe, le syriaque, le chaldéen). Il réclame souvent à son frère du papier et des livres : grammaires, bibles, dictionnaires et traités de philologie.
Dans les billets adressés à son frère, Jean-François réclame par deux fois les ouvrages de Niebuhr. Le récit du voyage de l’archéologue et linguiste allemand en Égypte, en Arabie et en Syrie a connu un grand succès et devient vite le livre de chevet de Jean-François. Pour la première fois, les hiéroglyphes y sont reproduits avec une certaine précision. Afin de mieux connaître l’histoire de l’Égypte, l’auteur y encourage ses lecteurs à travailler à leur traduction, notamment en utilisant le copte.
« Je n’ai plus de papier ; envoie m’en. Je ne sais que faire quand j’ai fait mon devoir, je m’ennuie. Envoie moi le reste des livres que j’ai demandé : le dictionnaire hébreu, Leusden philologia, Reinferdi philologia, Biblioteca rabinica, Ludolfi ethiopica grammatica, Racines hébraïques et ma grammaire. P.S. Je n’ai plus de boucles pour les culottes. Adieu, ton frère obéissant »
Jean-François juge l'ouvrage de Prosper Gabriel Audran, son futur professeur d'hébreu au Collège de France à Paris, très clair et bien supérieur aux vieilles grammaires utilisées auparavant. Il l'annote d'ailleurs en indiquant, en face des lettres hébraïques, les lettres arabes correspondantes, ou en relevant que certains verbes irréguliers sont de « l’égyptianisme » pur. Il ajoute aussi son ex-libris « J-F Champollion Élève au lycée de Grenoble ».
Savant aux intérêts multiples, le comte de Volney a marqué son temps par son récit de voyage en Égypte et en Syrie, ouvrage considéré comme précurseur pour la sociologie et l’ethnologie. Quand Jean-François étudie les langues orientales, ses méthodes d’apprentissage font référence, même si ses propositions de simplification sont critiquées.
Professeur de langues orientales à Zurich et Heidelberg, Hottinger est l'un des fondateurs de la philologie orientale. Principal orientaliste suisse du XVIIe siècle, il est connu de Jean-François qui indique à son frère, dans une lettre écrite de Paris en 1809, qu’il « verrai[t] avec plaisir [son] Historiae orientales d’Hottinger », ouvrage sur l’histoire de l’islam parmi les plus marquants de son siècle.
C’est à cette époque que Jean-François prend l’habitude de signer « Saghir » qui signifie « Cadet » ou « le Jeune » en arabe.
C’est aussi à cette période que Joseph Fourier, célèbre mathématicien et préfet de l’Isère depuis 1802, prend son frère Jacques-Joseph sous sa protection : il s’adjoint son aide pour rédiger la préface de la monumentale Description de l’Égypte. Jean-François devient le témoin privilégié de cette collaboration.
Ce portrait du préfet de l’Isère est accompagné d'une note manuscrite de Fourier illustrant le rôle de collaborateur et documentaliste joué par Jacques-Joseph Champollion dans la rédaction de la préface de la Description de l’Égypte :
« Je prie monsieur Champollion d'avoir la complaisance de me faire prévenir lorsque messieurs les inspecteurs arriveront et de vouloir bien m’envoyer 1° le morceau de Frèret sur la chronologie égyptienne s’il n’a point encore paru 2° le volume de l'Académie des sciences de Paris pour 1783, j'ai en effet le volume de 1782. »
Avec son frère, Jean-François propose des communications sur l’Égypte à l’Académie delphinale, prestigieuse société savante grenobloise, dont il étonne les membres par son intelligence et son don pour les langues.
Cette communication de Jacques-Joseph au Lycée des sciences et des arts (anciennement Académie delphinale) est consacrée à un temple égyptien situé dans la ville de Dendérah. Ce temple est surtout célèbre pour son zodiaque, bas-relief représentant la voûte céleste et ses constellations, découvert au cours de la campagne d’Égypte et étudié par Joseph Fourier. Jacques-Joseph s’intéresse ici à une autre curiosité moins connue du temple : une inscription de trois lignes, principalement en grec, gravée au-dessus d’une porte du mur d’enceinte.