Le Général

 

L’Égypte, enfin ! Avec son ami Ippolito Rosellini, Champollion obtient en 1828 de mener un « voyage littéraire » en Égypte, cofinancé par les gouvernements toscan et français, avec une équipe de jeunes dessinateurs et savants.

 

Congé accordé par le roi à Champollion pour se rendre en Égypte, 15 juillet 1828, N.1549 (13) Rés.
Congé accordé par le roi à Champollion pour se rendre en Égypte, 15 juillet 1828
N.1549 (13) Rés.

 

Au-delà d’un simple congé, c’est aussi et surtout un financement pour son expédition que Jean-François reçoit du roi, grâce à la protection du duc de Blacas. La mission archéologique a pour vocation d’enrichir les collections du musée du Louvre : Jean-François rapportera plusieurs pièces, notamment un bas-relief du tombeau royal de Séthi 1er.

 

Ippolito Rosellini (1800-1843), jeune professeur en langues orientales à l’université de Pise, vient à Paris dans les années 1820 pour se former auprès de Jean-François dont il partage la grande passion pour l’Égypte, avant de l’aider à mettre en place le musée Charles X au Louvre puis de l’accompagner en Égypte. Ami et disciple fidèle, il défend son système de déchiffrement en Italie. Dans cet hommage posthume, c’est en « Égyptien » que Jean-François est représenté.

 

Tributo di riconoscenza e d’amore reso alla onorata memoria di G. F. Champollion il minore, par Ippolito Rosellini, Vh.6446
Tributo di riconoscenza e d’amore reso alla onorata memoria di G. F. Champollion il minore
Ippolito Rosellini
Vh.6446

 

Sous la direction intransigeante de celui qu’ils surnomment le « Général », les membres de l’expédition parcourent le pays le long du Nil et relèvent les inscriptions des monuments antiques sous forme de dessins d’une grande exactitude.

 

Les grandes étapes du voyage de Champollion en Egypte (1828-1829)
Cliquer sur l'image pour voir les grandes étapes du voyage de Champollion en Égypte
(1828-1829)

 

Hiéroglyphes et bas-reliefs sont en effet la première source d’information sur l’Égypte sous les Pharaons, et à présent qu’ils peuvent être déchiffrés, il s’agit d’en collecter le plus possible. Jean-François traduit et recense autant d’éléments qu’il le peut, dans des notices décrivant chacun des sites et des monuments rencontrés, dans son journal de bord, et dans sa correspondance : une matière foisonnante qu’il n’aura pas le temps d’exploiter autant que prévu.

 

Pour lui, ce voyage est l’accomplissement d’une vie d’attente :

« Je bénis le sol égyptien en le touchant pour la première fois après l’avoir si longtemps désiré. »

Augustin Thévenet (1791-1860), commerçant grenoblois, est un ami de très longue date, rencontré au lycée. Ils échangent de nombreuses lettres qui témoignent de la fidélité en amitié de Jean-François, qui l’appelle « mon cher petit ».

« Je tiens à te prouver que, malgré les distances, je n’oublie pas ceux que j’aime ; que j’ai beau être au fond de la Nubie, avoir une barbe de capucin, être habillé comme un Arabe du désert, […] et boire l’eau du Nil à discrétion – tout cela ne m’est allé qu’à la peau, et je suis toujours au fond, dauphinois endiablé ».

 

Lettre autographe à Thévenet, N.1549 (2) Rés.
Lettre autographe à Thévenet. Ouady-Halfa, le 1er janvier 1829
Jean-François Champollion
N.1549 (2) Rés.

 

Etienne Pariset (1770-1847), médecin épidémiologiste, était en mission en Égypte de 1828 à 1830 pour faire des recherches sur la peste. Il s’y lie d’amitié avec Jean-François. « Il est donc décidé, mon cher Immouth, que vous verrez et reverrez Thèbes sans moi ! […] Je vous plains aussi de n’avoir pas admiré Ibsamboul. »

 

Lettre au docteur Pariset, de Jean-François Champollion, N.626 Rés.
Lettre au docteur Pariset. Ibsamboul (en Nubie), le 15 janvier 1829
Jean-François Champollion
N.626 Rés.

 

Méhémet Ali (fin des années 1760-1849), officier ottoman, prend le pouvoir en Égypte en 1805 dans une période d'instabilité. Il modernise et industrialise le pays. II tient aux bonnes relations avec les puissances européennes : au gré de leurs rencontres, Jean-François obtient pour la France le don des deux obélisques de Louxor. On admire aujourd'hui « celui de droite » place de la Concorde à Paris.

 

Méhémet Ali, vice-roi d'Egypte, dessin de L. Dupré, Marj. P. 9180
Méhémet Ali, vice-roi d'Egypte
Dessin de L. Dupré
Marj. P. 9180

 

« [Les] pauvres obélisques d’Alexandrie […] font mal depuis que j’ai vu ceux de Thèbes. Si l’on doit voir un obélisque égyptien à Paris, que ce soit un de ceux de Louqsor ; […] mais je ne donnerai jamais mon adhésion, dont on pourra, du reste, fort bien se passer, au projet de scier en trois un de ces magnifiques monolithes. Ce serait un sacrilège : tout ou rien. […] On pourrait mettre sur le Nil, chargé sur un radeau, l’un des deux obélisques de Louqsor, et je désire que ce soit celui de droite, pour de bonnes raisons à moi connues […]. Les hautes eaux de l’inondation l’emmèneraient jusqu’à la mer, jusqu’au vaisseau qui le chargerait pour l’Europe. »

Lettre de Jean-François à Jacques-Joseph, 4 juillet 1829.

 

Égypte et Nubie. Sites et monuments les plus intéressants pour l'étude de l'art et de l'histoire, par Félix Teynard
Égypte et Nubie. Sites et monuments les plus intéressants pour l'étude de l'art et de l'histoire
Félix Teynard
1858
H.494

 

Inquiet devant les déprédations importantes qu’il constate sur les sites historiques qu’il visite, Champollion rédige pour Méhémet Ali une Note pour la conservation des monuments de l'Égypte. Il y conseille d'éviter tout prélèvement de pierres dans les sites historiques et de réglementer les fouilles : un regard résolument moderne.

« [….] Il est du plus haut intérêt pour l’Égypte elle-même que le gouvernement de Son Altesse veille à l’entière conservation des édifices et monuments antiques, l’objet et le but principal des voyages qu’entreprennent, comme à l’envi, une foule d’Européens appartenant aux classes les plus distinguées de la société.

Leurs regrets se joignent déjà à ceux de toute l’Europe savante qui déplore amèrement la destruction entière d’une foule de monuments antiques, démolis totalement depuis peu d’années, sans qu’il en reste la moindre trace. On sait bien que ces démolitions barbares ont été exécutées contre les vues éclairées et les intentions bien connues de Son Altesse, et par des agents incapables d’apprécier le dommage que, sans le savoir, ils causaient ainsi au pays ; mais ces monuments n’en sont pas moins perdus sans retour, et leur perte réveille, dans toutes les classes instruites, une inquiète et bien juste sollicitude sur le sort à venir des monuments qui existent encore.

[….] En résumé, l’intérêt bien entendu de la science exige, non que les fouilles soient interrompues, puisque la science acquiert chaque jour, par ces travaux, de nouvelles certitudes et des lumières inespérées, mais qu’on soumette les fouilleurs à un règlement tel, que la conservation des tombeaux découverts aujourd’hui et à l’avenir soit pleinement assurée et bien garantie contre les atteintes de l’ignorance ou d’une aveugle cupidité.

Alexandrie, novembre 1829 »

 

De retour à Paris en mars 1830, Champollion retrouve ses fonctions de conservateur au Louvre, auxquelles s’ajoute en 1831 une nomination au Collège de France, pour y tenir la première chaire d’archéologie et enseigner la grammaire égyptienne.

 

Enfin reconnu mais épuisé par le travail considérable qu’il continue d’abattre, et souffrant probablement d’une maladie contractée en Égypte, il meurt prématurément le 4 mars 1832, à 41 ans.

 

En écrivant sans tarder au ministre d’État Élie Decazes, Jacques-Joseph protège l’héritage de son frère : « Personne ne peut oser remplacer mon frère comme conservateur, il faut attendre qu’un homme capable se soit formé par ses ouvrages quand je les aurais publiés, et je vais y consacrer le reste de ma vie, puisque moi seul fus jusqu’ici son collaborateur et le seul capable de lire dans ses papiers ».

 

Lettre de Jacques-Joseph Champollion-Figeac au duc Decazes, N.1782 (23) Rés.
Lettre de Jacques-Joseph Champollion-Figeac au duc Decazes. Paris, le 10 mars 1832
N.1782 (23) Rés.

 

Inventaire après le décès de Champollion, par Me Castel, notaire à Paris, R.10558 Rés.
Inventaire après le décès de Champollion le Jeune dressé par Me Castel, notaire à Paris
R.10558 Rés.

 

Si les biens matériels laissés par Champollion le jeune ont leur importance pour sa veuve et sa fille, ce sont ses « précieux manuscrits », mentionnés ici sans valeur financière, qui représentent le véritable trésor :

« Mme Champollion déclare […] qu’il existe de précieux manuscrits laissés par son mari et qui sont déposés entre les mains de Monsieur Champollion-Figeac ici présent qui le reconnaît, lesquels consistent en :

1° une grammaire égyptienne

2° une grammaire et un dictionnaire copte

3° trois portefeuilles de dessins d’Égypte »

C’est à Jacques-Joseph que reviendra le soin de publier ses œuvres inachevées et de défendre son œuvre et sa méthode.

 

Dictionnaire égyptien en écriture hiéroglyphique, par Jean-François Champollion, V.530 Rés.
Dictionnaire égyptien en écriture hiéroglyphique
Jean-François Champollion
V.530 Rés.

 

Jean-François consacre les derniers mois de sa vie à sa Grammaire, qu’il considère comme essentielle : avec le Dictionnaire publié en même temps, elle forme une méthode de langue complète sur les hiéroglyphes. Publiée de façon posthume par les soins de Jacques-Joseph à partir des manuscrits et des instructions laissées par son frère, la Grammaire est également un bel objet d’imprimerie, alliant typographie et lithographie pour représenter la langue des Pharaons.

 

Grammaire égyptienne ou principes généraux de l'écriture sacrée égyptienne appliquée à la représentation de la langue parlée, par Jean-François Champollion, V.529 Rés.
Grammaire égyptienne ou principes généraux de l'écriture sacrée égyptienne
appliquée à la représentation de la langue parlée

Jean-François Champollion
V.529 Rés.

 

Publiée par les soins de Jacques-Joseph dans sa version française, après la mort de son frère, Monuments de l'Égypte et la Nubie est une œuvre monumentale en quatre tomes, issue de la mission archéologique menée par Champollion en Égypte. Elle comporte essentiellement des planches de dessins, qui restent aujourd’hui une source précieuse sur l’Égypte antique : certaines fresques étudiées par les dessinateurs ont depuis perdu leurs couleurs ou ont été détruites. De nombreuses notices descriptives, qui devaient accompagner ces planches, seront en partie publiées plus tard par Champollion-Figeac.

 

Monuments de l’Égypte et de la Nubie d’après les dessins exécutés sur les lieux, H.21
Monuments de l’Égypte et de la Nubie d’après les dessins exécutés sur les lieux
Jean-François Champollion
H.21

 

Hiéroglyphe

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