L'Égyptien

 

« Je suis si copte, que pour m’amuser je traduis en copte tout ce qui me vient à la tête ; je parle copte tout seul […]. C’est le vrai moyen de me mettre mon égyptien pur dans la tête. »

 

À 17 ans, seule la capitale et les cours de langues orientales du Collège de France peuvent permettre à Jean-François de pousser plus loin ses études ; de 1807 à 1809, le jeune génie y étudie, outre les langues déjà abordées au lycée, le persan, l’amharique, un peu de chinois, mais aussi le copte, cette ancienne langue égyptienne encore utilisée dans les rites des chrétiens d’Égypte, dérivée de la langue des Pharaons, et dont il a compris qu’elle sera une des clés du déchiffrement des hiéroglyphes.

 

Mais Grenoble lui manque : en 1810, il y revient comme professeur adjoint d’histoire à la toute nouvelle faculté des lettres, aux côtés de son frère qui y enseigne le grec.

 

Discours d'ouverture et programme du cours de littérature grecque, par Jacques-Joseph Champollion-Figeac, O.9822
Discours d'ouverture et programme du cours de littérature grecque
Jacques-Joseph Champollion-Figeac
O.9822

 

La nouvelle faculté des lettres de Grenoble est inaugurée le 26 mai 1810. Jacques-Joseph occupe les fonctions de professeur de littérature grecque tandis que Jean-François, âgé d’à peine 20 ans, devient professeur adjoint d’histoire. Cette nomination, due notamment à la protection du préfet Joseph Fourier, leur vaut de nombreuses jalousies.

 

Cours élémentaire de langue grecque, par Jacques-Joseph Champollion-Figeac, V.1602
Cours élémentaire de langue grecque
Jacques-Joseph Champollion-Figeac
V.1602

 

La leçon inaugurale des professeurs de la faculté est l’occasion d’annoncer le programme de l’année mais aussi les opinions de l’enseignant. Jean-François Champollion, qui remplace à cette occasion le professeur d’histoire titulaire Dubois-Fontanelle, en profite pour énoncer un point de vue novateur sur la discipline : la recherche de la vérité factuelle doit primer sur la pensée majoritaire, qui impose encore, à l’aube du 19e siècle, la supériorité des textes bibliques pour établir la chronologie de l’histoire humaine.

 

Programme des cours de la faculté des lettres de Grenoble, V.680
Programme des cours de la faculté des lettres de Grenoble
V.680

 

Jacques-Joseph est également nommé conservateur de la bibliothèque municipale, située à l'époque dans l'actuel lycée Stendhal, et prend son frère pour adjoint. Cela leur permet de créer des liens avec le monde savant et d’avoir accès à de nombreux ouvrages. Les deux frères enrichissent les collections de la bibliothèque en allant notamment récupérer plus de mille six cents manuscrits et imprimés au monastère de la Grande Chartreuse, dernier ensemble de confiscations révolutionnaires.

 

Journal du département de l’Isère, n°28 du 4 mars 1812, U.9427
Journal du département de l’Isère
4 mars 1812
U.9427

 

Le manuscrit nommé « Catalogue du cabinet des antiques de la ville de Grenoble » comporte plusieurs feuillets de la main de Jean-François. Il y dresse l'inventaire des objets antiques conservés à la bibliothèque, qui proviennent principalement d’un don de l’abbaye Saint-Antoine en Dauphiné fait en 1777 : pièces de monnaie grecques et romaines, spécimens d’histoire naturelle, et plusieurs pièces égyptiennes.

Sur ce feuillet, Jean-François liste ces pièces : deux momies humaines ; deux momies d’Ibis ; un débris de châsse en basalte ; des figurines en terre cuite  et deux vases canopes. Les deux momies et les autres pièces égyptiennes du « Cabinet des antiques » sont aujourd’hui conservées au musée de Grenoble.

 

Catalogue du cabinet des antiques de la ville de Grenoble, par Jean-François Champollion, R.7635 Rés.
Catalogue du cabinet des antiques de la ville de Grenoble
Jean-François Champollion
R.7635 Rés.

 

Une expérience audacieuse a permis à Jean-François de comprendre la signification alors inconnue des vases « canopes ». Il fait chauffer au bain-marie l’un de ces deux vases conservés à la bibliothèque (d’où les traces noirâtres) et y plonge sa main. Il y découvre un foie humain embaumé dans de la toile. Ces vases n’incarnaient donc pas des divinités pour les Égyptiens, mais lors de l’embaumement, servaient de contenants laissés près des momies.

 

Vases canopes
Vases canopes
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
MG 2001

 

Républicain convaincu, Jean-François s’investit dans la vie politique locale et se fait parfois journaliste, écrivant contre les « ultras » et la Restauration. Ces nombreuses activités ne l’empêchent pas de poursuivre ses recherches et il publie son premier ouvrage, L’Égypte sous les Pharaons, en 1814.

 

Étienne Marc Quatremère est un archéologue français et un des premiers rivaux de Jean-François. En septembre 1811, il publie un ouvrage intitulé Mémoires géographiques et historiques sur l’Égypte et sur quelques contrées voisines. Cet ouvrage reçoit une très bonne critique de Silvestre de Sacy, ancien professeur d’arabe littéraire de Jean-François au Collège de France. C’est un coup dur pour Jean-François qui prépare depuis plusieurs années une publication similaire sur l’histoire et la géographie de l’Égypte ancienne.

 

Portrait d'Etienne Marc Quatremère, par Julien-Léopold Boilly, Marj. P. 11183
Quatremère (Étienne Marc)
Lithographie de Julien-Léopold Boilly
Marj. P. 11183

 

Antoine-Jean Saint Martin est un orientaliste français, ami de Jean-François Champollion depuis ses études parisiennes. Il est surnommé « l’Arménien » du fait de sa spécialité, comme Champollion le Jeune est surnommé « l’Égyptien ». Dans cette lettre, Jean-François fait part à son ami de son mécontentement face à la publication de l’ouvrage d’Étienne Marc Quatremère et à la réaction de Silvestre de Sacy. Il en profite pour dessiner des caractères en copte, langue fondamentale pour lui dans la course au déchiffrement.

 

Lettre autographe à M. Saint-Martin fils, 1er novembre 1811, N.1783 (1) Rés.
Lettre autographe à M. Saint-Martin fils
N.1783 (1) Rés.

 

À la suite de la publication de Quatremère, pour ne pas se laisser devancer tout en évitant le soupçon de plagiat, les frères Champollion publient dans l’urgence le manuscrit de Jean-François : L’Égypte sous les Pharaons. Dans un premier temps, il ne s’agit que de trente exemplaires d’une partie de l’ouvrage qui explique les difficultés rencontrées par les auteurs de l’Antiquité pour traduire les noms des villes égyptiennes en grec : l’alphabet grec n’arrivait pas à reproduire tous les sons.

 

L'Egypte sous les Pharaons, par Jean-François Champollion, O.3256
L'Égypte sous les Pharaons
Jean-François Champollion
O.3256

 

Ce n’est qu’en 1814 que L’Égypte sous les pharaons, ou recherches sur la géographie, la religion, les écritures et l’histoire de l’Égypte avant l’invasion de Cambyse est publié dans son intégralité. Cette première publication de Jean-François apporte des éléments nouveaux et très documentés sur la question des noms de lieux en égyptien ancien, mais il ne rencontre pas la reconnaissance académique attendue, faute du soutien de son ancien professeur Silvestre de Sacy.

 

L'Egypte sous les Pharaons, par Jean-François Champollion, V.541
L'Égypte sous les Pharaons
Jean-François Champollion
V.541

 

Les années 1815 à 1821 sont marquées par de fortes agitations politiques à Grenoble, ce qui vaut aux deux frères, à présent mal vus du pouvoir local, plusieurs mois d'exil à Figeac et la perte de leurs postes. C'est à Paris seulement qu'ils pourront poursuivre une carrière académique.

 

Après avoir épousé Rosine Blanc, fille d'un gantier grenoblois, Jean-François finit par rejoindre en 1821 son frère Jacques-Joseph à Paris, où il reprend de plus belle ses travaux sur l'écriture égyptienne, grâce aux protections que son frère est parvenu à retrouver.

 

Hiéroglyphe

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