La terre des pharaons
Des pyramides gigantesques, une écriture faite d’images symboliques, une religion mystérieuse : l’Égypte ancienne, vue de l’Europe, n’a cessé de susciter l’imaginaire et le désir de voyage. Au-delà du fantasme, elle incarne aussi le berceau des civilisations méditerranéennes : les savants s’y intéressent dès la Renaissance et cherchent à vérifier sur place les récits des historiens antiques. Jusqu’aux Lumières, une « science du voyage » se met progressivement en place. Les frères Champollion héritent de l’ensemble de ces connaissances compilées au fil des siècles.
Au XVIe et XVIIe siècles, les savants utilisent les voyageurs en leur donnant des instructions pour guider leurs observations. Les voyageurs, érudits ou non, sont invités à participer à une « entreprise collective d’inventaire et de description du monde ».
La Cosmographie de Sebastian Münster (1488-1552) – savant humaniste et érudit allemand (cartographe, historien, astronome, mathématicien, professeur d’hébreu) – est l'ouvrage sans doute le plus lu du XVIe siècle après la Bible. Son succès est en partie dû aux nombreuses et belles gravures sur bois, dont certaines du peintre et graveur Hans Holbein le Jeune. Au total plus de 120 collaborateurs ont participé à cette œuvre référence pour l’époque en géographie et en histoire.
L'ouvrage le plus connu du médecin et géographe hollandais Dapper (1639-1689) demeure une référence parmi les ouvrages de synthèse sur le continent africain, grâce à un travail basé sur la consultation des meilleurs livres d’histoire, de géographie, de récits de voyages de l’époque. L’auteur ne porte pas de jugement de valeur sur les sociétés africaines, s’efforçant de décrire de manière neutre les divers aspects de la vie en Afrique (religion, géographie, économie, faune, médecine, mœurs, coutumes…). L’auteur, cependant, n’a jamais visité lui-même les pays décrits.
Dans le courant du XVIIIe siècle, on commence à délaisser les curiosités (momies, crocodiles…) au profit d’une approche plus globale, en décrivant la géographie, le climat, la population. Le voyageur est désigné pour accomplir une mission, en vertu de son instruction et de ses compétences. On attend que ses observations, collectes et mesures soient méthodiques, homogènes, calibrées, et au retour, agrégées, analysées, comparées.
Benoît de Maillet (1656-1738) est un consul de France au Caire maîtrisant l’arabe, ce qui facilite ses discussions avec les habitants du pays et la lecture des historiens arabes. Il confie les manuscrits de ses observations sur l’Égypte et ses habitants à l'abbé Le Mascrier, qui compose un essai abordant tous les aspects de l’Égypte : histoire, géographie, nature, vie quotidienne, arts, économie, politique, médecine. L’ouvrage remporte un fort succès, donnant une idée jugée exacte et fidèle du pays au début de XVIIIe siècle.
Norden (1708-1742), marin et voyageur danois, est un des tous premiers auteurs de récit de voyage en Égypte, où il se rend en 1737. De son périple jusqu’à Assouan, il tient le journal et réalise plus de 200 dessins des monuments et de la vie quotidienne des Égyptiens. Son voyage se veut une découverte dûment préparée, documentée.
Le comte de Volney, philosophe et orientaliste français part pour l’Égypte fin 1782, non sans avoir appris l’arabe. Il y décrit la population, la géographie, les maladies locales, et s’interdit toute imagination au contraire d’un Savary. Il a longtemps été considéré comme un observateur éclairé et un guide sûr, notamment par les Français partis en Égypte avec Bonaparte.
Orientaliste, pionnier de l'égyptologie, Savary part pour l’Égypte en 1776. Il y reste trois années pour « connaître ses semblables (…) en étudiant leurs mœurs, leur religion, leur gouvernement ». Ses Lettres sur l'Égypte font l’objet de nombreux éloges dans la presse. On y loue la brillante imagination et les descriptions romanesques de son auteur. Cependant, leur contenu est jugé peu solide, et son Égypte « idyllique » ne supporte pas la comparaison avec l’œuvre d’un Volney.
L’Écossais James Bruce, dont le but est de découvrir les sources du Nil, voyage à travers toute l’Éthiopie et les déserts de l’Égypte. On le regarde comme l’un des premiers explorateurs scientifiques, amassant avec rigueur des connaissances précises sur la géographie, la faune, la flore, la météorologie… Son livre Voyage aux sources du Nil, en Nubie et en Abyssinie est considéré comme l’une des meilleures narrations de voyages sur l’Afrique. Mais il n’a pas découvert les sources du Nil. Ses récits sont-ils si pertinents ? Champollion en doute, annotant l’ouvrage de commentaires pleins d’humour et de causticité.
À l’orée du XIXe siècle, la campagne d’Égypte (1798-1801) menée par Bonaparte innove en intégrant à l’expédition militaire une mission scientifique, financée par l’État, aux objectifs bien définis : quatre-vingt-onze questions sont adressées aux savants recrutés pour ce travail, qui devront y répondre sur le terrain en collaboration directe avec l’armée. L’expédition donne lieu à un ouvrage de référence monumental, sur le fond comme sur la forme : la Description de l’Égypte.
80 artistes, 270 graveurs, 3000 dessins, 974 planches dont 74 en couleurs. 9 volumes de texte par 43 auteurs, 1 volume de préface. 10 volumes de planches format Jésus (56 x 76 cm), 3 volumes format grand Aigle (75 x 106 cm).
Éditée entre 1809 et 1829, la Description de l’Égypte montre l’Égypte, ses antiquités, son état moderne, son histoire naturelle. Remarquable par sa description du pays, elle l’est aussi par sa taille, l’uniformité de sa présentation, son papier-vélin, son filigrane, les nouvelles techniques d’impression des planches en couleurs, la qualité de ses gravures, et la qualité de sa typographie mêlant caractères latins, grecs, arabes, hébreux, éthiopiens et coptes, signes cunéiformes et hiéroglyphes. Elle est « le plus riche musée de l’univers », le plus bel hommage rendu par une civilisation à une autre.