La bibliothèque d’étude et du patrimoine
Une bibliothèque patrimoniale dans une architecture du XXe siècle
La bibliothèque publique de Grenoble voit le jour en 1772. Si elle s’inscrit dans une période marquée par des fondations similaires en France, elle se démarque par son originalité. En effet, grâce à une souscription publique menée par l’imprimeur Faure et le docteur Gagnon, les Grenoblois réunissent la somme nécessaire pour acquérir la prestigieuse collection d’ouvrages de l’évêque de Grenoble, Jean de Caulet.
Jean de Caulet, évêque de Grenoble depuis 1726, laisse à sa mort en 1771 une bibliothèque de 34 000 volumes. Elle comprend des livres imprimés, des manuscrits et quelques incunables, certains acquis à l’occasion de ventes aux enchères. Sa collection compte par exemple les plus beaux volumes de celle de Claude Expilly, président du Parlement de Dauphiné au début du XVIIe siècle. À la mort de l’évêque, la réputation de sa bibliothèque dépasse les frontières et suscite l’intérêt de Catherine II, l'impératrice de toutes les Russies.
Ce manuscrit provient de la succession de Jean de Caulet qui l’avait acquis auprès des héritiers de Claude Expilly. Il fait partie de la collection fondatrice de la bibliothèque. Dédié à la Vierge, ce livre d’heures était utilisé par les fidèles pour accompagner leurs prières quotidiennes. Ces pages présentent plusieurs types de décors : des lettrines enluminées, des miniatures représentant des scènes de la vie de la Vierge et des fonds de rinceaux fleuris. Ce manuscrit se distingue par la richesse et le raffinement de son ornementation.
Par son origine et sa reliure, cet ouvrage est l'un des plus précieux de la bibliothèque. Cet incunable serait en effet issu des presses de Gutenberg à Mayence. Conservé au monastère de la Grande Chartreuse, il rejoint les collections de la bibliothèque lors des confiscations révolutionnaires. Sa reliure à cabochons dotée de quatre bouillons et d’un ombilic a permis de préserver le décor réalisé sur sa couverture en cuir par un atelier de Nuremberg entre 1460 et 1480.
André Faure (1739-1815), imprimeur et libraire, lance en 1772 la souscription publique qui permet d’acquérir la bibliothèque de Monseigneur de Caulet. Avec d’autres personnalités comme le docteur Gagnon, grand-père de Stendhal, il fait partie des élites locales sensibles au mouvement des Lumières, à l’accès aux connaissances et à l'instruction. La conservation à Grenoble de l’intégralité de la collection de Jean de Caulet et la fondation de la première bibliothèque publique de la ville ont été possibles grâce à l’initiative d’un groupe de notables éclairés et à la mobilisation des habitants.
Amédée Ducoin (1777-1851) succède à Jacques-Joseph Champollion à la direction de la bibliothèque entre 1816 et 1848. Il dresse le catalogue des livres qui y sont conservés. Après la mort de Stendhal, il sollicite Louis Crozet, légataire testamentaire, pour compléter la collection des œuvres d’un auteur considéré à l’époque comme un écrivain local. Crozet donne en 1845 à la bibliothèque La Chartreuse de Parme (deuxième édition, 1839) et les Promenades dans Rome (1829), l’année suivante La Chartreuse de Parme et Le Rouge et le Noir, dans l’édition Hetzel.
La bibliothèque d’étude et du patrimoine s’installe en 1970 dans le bâtiment actuel après avoir occupé les locaux du lycée Stendhal puis ceux du musée-bibliothèque. Elle conserve près de 700 000 documents occupant 23 kilomètres de rayonnages : manuscrits, incunables, imprimés, presse, gravures, photographies... les collections comptent des pièces anciennes, rares et uniques et notamment des ouvrages du monastère de la Grande Chartreuse confisqués au moment de la Révolution. En raison de l’importance de ses fonds patrimoniaux et de son rayonnement, la bibliothèque municipale est dotée par l’État du statut de bibliothèque municipale classée.
Le bâtiment qui l’abrite aujourd’hui est achevé en 1960 pour accueillir dans un premier temps la bibliothèque universitaire. L’architecte, Jean Benoit, dispose d’une parcelle étroite et bâtit en hauteur pour loger l’ensemble des fonctions souhaitées. Il dote la construction d’une forme arrondie, tournée vers le parc Paul-Mistral, pour en adoucir la verticalité. Ce bâtiment bénéficie du label Architecture contemporaine remarquable, qui reconnaît sa qualité et sa singularité architecturales dans l’abondante production du XXe siècle.
Jean Benoit (1900-1976), diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris en 1920, s’installe à Grenoble en 1929. Il exerce comme architecte indépendant et comme architecte de la Ville entre 1936 et 1945. Il est l’auteur de plusieurs bâtiments grenoblois dont trois labellisés Architecture contemporaine remarquable : la bibliothèque d’étude et du patrimoine, un immeuble d’habitation rue Thiers et la Maison des étudiants. Il réalise également les gares du téléphérique de la Bastille et l’Institut Dolomieu sur les pentes de la Bastille.
L’organisation de la façade traduit bien l’originalité de la répartition des fonctions à l’intérieur du bâtiment proposée par Jean Benoit. Aux étages supérieurs, les nombreuses baies assurent la luminosité des espaces de travail et de lecture. Les étages intermédiaires accueillent les collections. Ils se signalent par des pavés de verre partiellement occultés par des éléments en béton verticaux très resserrés assurant la pénombre nécessaire à la conservation des documents. Cette composition verticale très forte renforce et assume la hauteur du bâtiment liée à l'exiguïté de la parcelle.
De grandes baies, des puits de lumière et des verrières zénithales éclairent généreusement la salle de lecture du sixième étage. Ici, comme aux autres niveaux et sur le pourtour extérieur du bâtiment, les nombreux piliers porteurs rythment l’espace. La solidité de la construction repose en effet sur un système poteaux-poutres qui permet de limiter le nombre de murs porteurs et de créer de grands volumes ouverts.