Une palette de détails
Les dessins de Diodore Rahoult tracent le portrait d'un artiste capable de peindre le vivant dans son ensemble, d'observer le monde dans sa réalité, d'en capturer à travers maints détails l'essentielle beauté. Ils révèlent la riche palette d'un artiste accompli.
Comme d’autres peintres du XIXe siècle, Diodore Rahoult se plaît, au cours de ses deux voyages en Italie, à dessiner les pifferari (de l’italien piffero « fifre »), ces paysans et musiciens ambulants des Abruzzes qui jouent du fifre, de la cornemuse ou de la flûte, aux approches de Noël en l’honneur de la Vierge. Son sens de l’observation se porte jusqu’aux détails de leur costume et fixe en un gros plan réaliste et quasi-photographique leurs chaussures et genouillères à lacets. Berlioz, quant à lui, en donne une description toute musicale dans ses Mémoires : « J’ai remarqué seulement à Rome une musique instrumentale populaire que je penche fort à regarder comme un reste de l’antiquité […]. »
Peut-être destiné à illustrer les peintures des quatre saisons réalisées pour le café de M. Cartier, place Grenette – en particulier celle du Printemps où figure une femme vêtue d’une longue robe jaune –, ce dessin est un des exemples des recherches de Diodore Rahoult sur le drapé et l’habit féminin. On y trouve douceur, élégance et luminosité !
Diodore Rahoult a réalisé au moins huit dessins de cette scène illustrant la page 83 du Grenoblo malhérou. Plus ou moins achevés, centrés sur des détails ou fixant la composition dans son ensemble, ils témoignent du travail de l’artiste : orientation et posture des personnages, choix des costumes, essai de couleurs, dessin sur papier ou sur calque. Ce dernier, retourné, permet d’imaginer la future gravure, image fidèle ou inversée des dessins originaux. Inséparables du bois gravé par Etienne Dardelet (1824-1876), ces dessins racontent :
« Marcieu, le chevalier, toujours vif, plein d’ardeur,
Qui n’a jamais tremblé, sur terre ni sur l’onde,
Pour donner du secours poursuit partout sa ronde… »
Outre les dessins de paysans outils à la main, Diodore Rahoult fixe sur le papier et dans l’imaginaire collectif le départ pour la fenaison. Le paysan étant à peine esquissé, on ne regarde que les bœufs attelés, la charrette prête à recevoir les foins, le râteau. L’artiste montre ici son intérêt non seulement pour les hommes, durs à la tâche, mais aussi pour les animaux et les outils utilisés dans le monde paysan du XIXe siècle.
Qui est cette belle jeune femme ? Fait-elle partie de l’entourage de Diodore Rahoult, est-elle la fille ou l’épouse d’un commanditaire, un tableau a-t-il vu le jour suite à ce dessin ? Nul ne le sait. Seuls restent la douceur d’un beau visage et un regard azur qui fixe le spectateur, comme il fixait autrefois le peintre. Diodore Rahoult aurait-il pu alors déclarer comme Van Gogh : « Je préfère peindre les yeux des hommes que les cathédrales, car dans les yeux, il y a quelque chose qu’il n’y a pas dans les cathédrales, même si elles sont majestueuses et qu’elles en imposent, l’âme d’un homme […]. »
Le 29 janvier 1838, Diodore Rahoult, âgé de dix-neuf ans, note dans son Journal : « Pour moi, je reconnais ma peine énorme à faire des portraits, aussi entreprends-je de faire une étude sérieuse et suivie de la bosse antique. » Qui pourrait croire en voyant ce dessin que Diodore Rahoult ait éprouvé un jour des difficultés à faire des portraits ? Si nul ne sait qui est représenté et de quand date ce dessin – peut-être en effet est-il tardif – une certitude s’impose : le talent est évident, tant le profil est délicat, le regard intense et vrai.