Itinéraires en Dauphiné
Dès l'âge de dix-huit ans, Diodore Rahoult parcourt son Dauphiné natal en tous sens, consignant dans ses carnets et ses écrits les lieux qui séduisent son âme romantique. Souvent accompagné d'Henri Blanc-Fontaine, il s'émerveille des paysages et des sites.
La Dent de Crolles, repérable par son allure de grosse molaire, second sommet de Chartreuse (alt. 2.062 m) après Chamechaude, est un terrain de jeux très apprécié des grimpeurs comme des spéléologues et domine avec majesté l’ensemble de la vallée du Grésivaudan. Sans doute l’artiste a-t-il planté son chevalet au village de Saint-Pancrasse, situé sur le Plateau des Petites Roches, pour donner une représentation tout en couleurs de la Dent : des tons chauds orangés pour les grandes ravines impressionnantes jusqu’aux tons froids bleutés pour suggérer les immenses falaises verticales sous le sommet, en passant par des verts pour les forêts de Chartreuse.
Du couvent de Sainte-Marie-d'en-Haut, logé sur les hauteurs de Grenoble, on découvre un beau point de vue panoramique sur la ville, particulièrement apprécié. Ce bâtiment fondé par Saint-François de Sales au début du XVIIe siècle, reste un lieu spirituel jusqu’à la Révolution, avant de connaître divers usages au cours du temps. C’est en 1968, après sa restauration – sa chapelle baroque est classée monument historique – que le Musée dauphinois y installe ses collections d’art populaire. L’artiste représente avec bonheur la demeure désaffectée avec son chemin de terre où se repose un animal familier, tandis que les cimes enneigées de Belledonne pointent leur nez à l’horizon.
Haute de 80 m, la cascade du Saut de la Pucelle, située à proximité du hameau des Fréaux à 1370 m d’altitude, se trouve à 2 km du village de La Grave en Oisans. Ses eaux tumultueuses, d’un blanc mousseux, dévalent avec force le long des rochers abrupts avant de se jeter dans la Romanche qui coule à ses pieds. Le pont en contrebas, où passe la route reliant Le Bourg-d'Oisans à La Grave, adoucit considérablement la chute verticale de la cascade avec les quelques touches de verdure laissées par l’artiste. Ce dernier, séduit par ce spectacle naturel grandiose, reprendra ce dessin pour illustrer, entre autres cascades, l’une des pages du Grenoblo malhérou.
Appartenant au « pays des Quatre montagnes », Lans-en-Vercors est une commune très ancienne, située sur le plateau du Vercors, à plus de 1000 m d’altitude. A l’époque de l’artiste, l’église de Lans, isolée dans la végétation, semble à l’écart de l’agitation humaine. Son beau clocher du XIe siècle, qui n’a pas échappé à l’œil de l’artiste, est classé aux monuments historiques. Avec son pignon saillant à redents – appelés aussi sauts de moineaux, destinés avant tout à protéger le toit de l’action du vent et de la neige – la construction attenante est typique de l’architecture rurale des maisons du Vercors.
« C’était un matin du mois de septembre, le 5 d’heureuse mémoire, que nous partîmes de Grenoble nous dirigeant vers Sassenage, notre but étant d’atteindre St Marcellin en traversant cette chaîne de montagne qui sort des Alpes et va mourir à St Quentin dans les flots de l’Isère… montagnes que nous ne devions quitter qu’après les avoir parcourues en tous sens. » (Relation de voyage dans le Vercors, 1838). L’artiste est ici aux côtés d’un fidèle ami, sur le plateau de Lans. Pause à l’ombre d’un arbre ou terme de la balade ? Vont-ils jouer du cornet à pistons ou sortir leurs carnets de croquis ? Un an avant, Diodore Rahoult prit sa première leçon de cornet rue Montorge chez le fils Buisson : « Je ferai un jour le portrait de mon maître de cornet : sa figure sera une belle étude. » (Journal, 8 décembre 1837).
Le prieuré de Saint-Michel de Connexe ou Couvent des Moines Rouges, près de Champ-sur-Drac, tire son nom de la couleur du capuchon de ses religieux. Victime des guerres de Religion, il est abandonné dès 1570. Diodore Rahoult apprécie tant ce lieu qu’il utilise ce dessin deux fois : en 1852, pour l’Automne, dans le décor du café de Mr Cartier, puis pour le Grenoblo malhérou. Il en laisse un souvenir marquant dans son Journal (28 octobre 1837) : « Le lierre inondait ses façades, se perdant dans la fenêtre en ogive, entourant la colonne tronquée et mutilée. Notre joie ne peut se comprendre, nous étions heureux, fous, ivres en un mot ! Tout était fait pour plaire dans cette ruine pittoresque, romantique, placée sur un précipice au fond duquel on découvrait Champ et le Drac. »
Le théâtre d’Orange, au cœur de la Provence que Diodore Rahoult a l’occasion de parcourir, est à compter parmi les plus beaux théâtres antiques du monde à l’heure actuelle. Erigé au 1er siècle, le théâtre possède un mur de scène de près de 37 m de haut, si bien conservé qu’il offre une acoustique hors du commun. L’artiste reproduit fidèlement le mur flanqué de ses portes avec ses nombreuses niches. Pas de gradins à cette époque, mais seulement des maisons, qui seront l’objet d’une longue procédure d’expropriation lors du programme de restauration lancé par Prosper Mérimée à partir de 1825.